Dr. Peter Lock
European Association for Research on Transformation e.V.

Afghanistan décembre 07

Le voyage en Afghanistan du Président Sarkozy, orné d’André Glucksmann, en supplément d’âme, ne change rien à la petite catastrophe de la petite guerre d’Afghanistan : c’est une défaite de l’OTAN Onusien, dans laquelle il deviendra bientôt nécessaire à tout officier français d’avoir effectué une période. Le « retour d’expérience » dont cette guerre expérimentale est porteuse va s’ajouter à la guerre d’Iraq comme preuve de l’impossibilité de transformer en succès une intervention asymétrique qui ne mette pas en tête des préoccupations militaires le sort socio-économique de la population civile locale. Cette guerre n’est pas gagnable car elle ne prévoit pas de négocier la paix mais seulement de détruire l’ennemi, un adversaire informe composé d’une coalition archaïque entre chefs de tribus frontaliers, narco-trafiquants et Talibans soutenus par l’islamisme pakistanais. L’adversaire n’existe que par la présence de l’ennemi commun, l’envahisseur américain. Pour détruire sa cohésion, il faudrait partir

Les opérations d’appui aérien de nuit qui se multiplient aux portes de Kaboul et dans le sud sont des exercices modernisateurs, mais leur efficacité est à évaluer plutôt par la promotion technique de la nouvelle industrie d’armement à ciblage nocturne et guidage satellitaire que par son effet positif sur le « terrain ». L’obstination héroïque des Canadiens et des Français à faire de l’humanitaire et du civilo-militaire à terre, évite vaut peut être à nos troupes un certain taux d’impopularité. Mais les Afghans font des comparaisons, tendant à trouver que les Soviétiques faisaient plutôt mieux comme militaires reconstructeurs d’infrastructures lourdes. Prôner la reconstruction et la paix et simultanément la destruction de l’ennemi est un oxymore ou une hypocrisie, en tout cas une impasse, comme on le voit sur d’autres champs de bataille moyen-orientaux (Iraq, Palestine)

En Afghanistan, le caractère hétéroclite et inclassable des adversaires coalisés rend plus difficile encore une définition opérationnelle de la victoire ; la conversion des paysans, ruinés par la destruction des économies traditionnelles, à une, narco-agriculture de survie, ajoute nécessairement aux facteurs de trans-frontalierisation du conflit. Non seulement on voit apparaître des narco-guerrilleros dans le camp des Talibans, naguère tyrans anti-narco sévères, mais la probabilité de voir apparaître dans l’armée afghane des narco-militaires se fait jour et cette corruption peut aussi gagner certaines troupes de la coalition OTAN-ONU.

Le modèle colombien de « narco-Etat », est là pour nous avertir que lorsque l’Etat est décomposé, l’aide militaire externe elle-même est menacée de narco-corruption. Comme pour Bogota et les grandes villes colombiennes, la pacification « réussie » de la zone de Kaboul est une façon d’énoncer que le reste du pays sombre dans une anarchie « militaire » diversifiée, fondée sur divers acteurs terroristes qui tous par la narcoéconomie sont aussi des agents de survie des populations et bénéficient pour des raisons pragmatiques d’une légitimité locale qui ne doit rien à l’Etat central. Ce qui favorise la stratégie de répression brutale des populations, qui engendre la guerre sans fin

Lorsque Glucksmann écrit ingénument « nous ne pouvons pas perdre l’Afghanistan », comme si nous l’avions conquise, comme s’il s’agissait de l’Algérie Française, on se doute qu’un glissement pervers est en train de s’organiser qui lancerait les forces armées européennes, engagées comme auxiliaires, dans une guerre coloniale de nouveau type. Celle-ci n’aurait pas pour objet la restauration de la paix, mais le maintien d’une guerre permanente, considérée comme « juste » parce qu’on y traiterait globalement en ennemi toute une population soumise à la fois à l’islamisme et au narcotrafic. Une aubaine pour campagne électorale américaine avide d’un « méchant » global bien localisé dans une anthropologie médiatique de Disneyland. Perception à éviter en période d’élaboration en France du Nouveau Livre Blanc sur la défense

Alain JOXE.